La lutte de Stephen Harper contre l’environnement
Eve Bourgeois est étudiante au doctorat en science politique à l’Université de Toronto. Elle s’intéresse aux politiques environnementales adoptées par les différents gouvernements canadiens. Ses recherches en politique canadienne lui ont valu plusieurs bourses et distinctions dont une récompense de l’Assemblée nationale du Québec.
La politique environnementale du Canada n’a pas toujours été celle qui domine actuellement. Sous Brian Mulroney, le Canada a été un acteur crucial dans la signature de la convention sur la biodiversité dans le cadre du Sommet sur les changements climatiques de 1992 tenu à Rio de Janeiro malgré que les États-Unis aient refusé d’y adhérer. Sous Jean Chrétien, le Canada a joué un rôle clé dans les négociations reliées au Protocole de Kyoto alors que les États-Unis bloquaient à nouveau la possibilité d’une entente internationale. Sous Stephen Harper, le rôle du Canada s’est inversé. Plutôt que de tenter de collaborer dans l’élaboration d’ententes internationales, le gouvernement canadien tire maintenant les négociations internationales vers le bas en plus de réduire les exigences environnementales à l’intérieur de ses propres frontières. Si le gouvernement Harper se veut rassurant en affirmant que le Canada contribue dans la lutte contre les changements climatiques, un aperçu de quelques politiques prises depuis son élection en 2006 contredit la rhétorique conservatrice.
Dans cet esprit, le présent texte identifie quelques politiques du gouvernement conservateur dans le domaine de l’environnement et soutient que, sous la gouverne de Stephen Harper, la protection environnementale a été mise de côté au profit d’une stratégie économique qui ignore les impacts environnementaux pouvant en découler et dont les conséquences pourraient bien se faire sentir sur plusieurs générations à venir.
L’engagement du Canada dans la réduction de ses gaz à effet de serre
Alors que la communauté internationale s’efforce de réduire les gaz à effet de serre (GES), responsables des changements climatiques observés depuis plusieurs années, le gouvernement conservateur de Stephen Harper nage à contrecourant en réduisant les objectifs nationaux de réduction des émissions de GES. Sous Chrétien, le Canada s’était engagé à réduire ses émissions de GES de 6% entre 2008 et 2012 par rapport à celles émises en 1990 dans le cadre du Protocole de Kyoto. Cependant, lorsque celui-ci prit officiellement forme en 2005, le Canada était déjà bien en retard sur ses propres objectifs de réduction. Suite à son élection, Harper a déclaré l’incapacité du Canada d’atteindre de telles cibles et a adopté des objectifs de réduction dans le cadre de la Conférence de Copenhague sur les changements climatiques en 2009 moins ambitieux que ceux fixés par le Protocole de Kyoto.
Toutefois, malgré des cibles plus faibles, le bureau du vérificateur général a publié un rapport en 2014 selon lequel il prédit qu’à l’heure actuelle le Canada ne sera pas en mesure d’atteindre les objectifs qu’il s’est fixés pour 2020 selon l’Accord de Copenhague. Au contraire, on prévoit que les émissions nationales des GES augmenteront au cours des prochaines années en raison de l’exploitation croissante des sables bitumineux albertains. Si une réduction des GES a été toutefois observée depuis 2005, la majorité des réductions a été accomplie par les provinces plutôt que par un effort du fédéral à cet égard.
Des réformes laxistes en environnement
En plus de diminuer les objectifs de réduction des GES, le gouvernement conservateur a également affaibli plusieurs lois concernant la protection de l’environnement, dont le processus d’évaluation environnementale pour les nouveaux projets industriels, ce qui a été sévèrement critiqué par les environnementalistes. En effet, dans le cadre de la nouvelle politique, seuls les projets de grande envergure doivent maintenant subir une évaluation environnementale complète, alors que les exigences pour les petits projets ont été réduites significativement. De plus, afin d’éviter les doublons avec le processus d’évaluation environnementale des provinces et d’accélérer le processus de mise en œuvre des projets à l’étude, les évaluations provinciales peuvent remplacer, dans certains cas, les évaluations fédérales. Ces modifications ont eu pour conséquence de réduire le nombre de projets exigeant une évaluation environnementale, de diminuer les exigences auxquelles ceux-ci sont soumis et de donner une plus grande latitude au gouvernement dans l’approbation des projets étudiés.
D’autres lois ont également été modifiées par les conservateurs depuis leur entrée à Ottawa dont notamment la loi sur les pêches et la loi sur les espèces en péril qui ont toutes les deux réduit le nombre d’espèces protégées. Par ailleurs, les changements faits à la loi sur la protection des eaux navigables (renommée loi sur la protection de la navigation) ont enlevé plusieurs règlementations et restrictions rendant ainsi plus facile la construction de ponts, de barrages ou de pipelines nonobstant les conséquences potentielles pour l’écosystème où de tels projets ont lieu.
En plus des nouvelles politiques adoptées dont il vient d’être question, le gouvernement conservateur de Stephen Harper a aussi fait des coupes budgétaires importantes concernant l’environnement. Les coupures ont touché différents secteurs dont le budget du ministère de l’Environnement, le financement de plusieurs organismes responsables des évaluations environnementales, la recherche scientifique et le nombre de postes disponibles en environnement. Ces coupes budgétaires sont d’autant plus déplorables que les lois environnementales sont beaucoup moins exigeantes qu’elles ne l’étaient autrefois. Le personnel attaché aux questions environnementales à Ottawa voit ainsi leur marge de manœuvre diminuer par la nouvelle législation et par les restrictions budgétaires qui limitent ainsi leurs capacités à faire des évaluations environnementales pourtant essentielles selon la majorité des experts en environnement.
La politique énergétique, une priorité du gouvernement conservateur
Pour comprendre la logique conservatrice derrière les politiques environnementales énoncées ci-haut, on doit considérer la stratégie économique du gouvernement fédéral dont la pierre angulaire est l’exportation des ressources énergétiques canadiennes, en particulier le pétrole provenant des sables bitumineux albertains. Le problème de cette stratégie est qu’elle repose sur une source de pétrole dont l’exploitation est beaucoup plus dispendieuse et polluante que l’exploitation des réserves de pétrole traditionnelles. Malgré les impacts environnementaux, la réticence citoyenne et la forte opposition des peuples autochtones de la région face à l’exploitation du pétrole albertain, le gouvernement souhaite néanmoins aller de l’avant dans des projets de pipelines, entre autres vers les États-Unis, afin d’augmenter la production annuelle de pétrole.
Cette stratégie économique répond à la base électorale conservatrice, principalement basée en Alberta et dans les Prairies, qui a à cœur l’exploitation pétrolière. Il est donc dans l’intérêt de Stephen Harper d’agir en fonction de ses partisans. Cependant, le plan du gouvernement conservateur pourrait être compromis si le prix du pétrole continue de baisser. En effet, en raison des coûts d’extraction élevés du pétrole provenant des sables bitumineux, l’exploitation de ceux-ci est financièrement rentable seulement lorsque le prix du pétrole est assez élevé. Étant donné la volatilité du prix du baril de pétrole due à la production des pays membre de l’OPEP et aux nouvelles sources de combustibles fossiles (comme les gaz de schistes par exemple), la rentabilité du pétrole albertain a un avenir très incertain selon plusieurs spécialistes.
Conclusion
Ce changement de cap de la part du gouvernement canadien en matière environnementale n’est pas passé inaperçu par la communauté internationale. La crédibilité et la réputation du Canada a réellement souffert depuis l’arrivée des conservateurs à Ottawa ; le Canada est maintenant perçu comme le mouton noir de la scène internationale sur la question de l’environnement, classé derrière les États-Unis et la Chine! Plus important encore, les politiques adoptées par Harper facilitent le développement économique au détriment de l’environnement. S’il est possible de corriger la réputation canadienne auprès des autres nations lors d’un changement de gouvernement ou par l’adoption de politiques environnementales plus contraignantes par exemple, les dommages faits à l’environnement, la biodiversité et l’augmentation des GES dans l’atmosphère ont des conséquences graves, potentiellement désastreuses, et pouvant se répercuter sur plusieurs générations.
Somme toute, en matière environnementale, l’ère Harper témoigne d’une préférence forte envers la croissance économique plutôt qu’envers la protection environnementale. Or, le développement économique favorisé par les conservateurs pourrait s’avérer particulièrement coûteux, car la facture pour remédier à la destruction environnementale faite par l’exploitation des ressources énergétiques non renouvelables pourrait grandement excéder les bénéfices économiques obtenus à court terme par ces projets.